Le billet de François Morel
sur le confinement
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vous pouvez l'écouter sur le poscats de France Inter ou le lire ci-dessous | |
c'était le 30 octobre 2020
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Je me souviens, le premier confinement, je ne lavais
pas mal pris. Il avait fait beau, on mangeait dehors. Je dinais à
heure fixe, ça me changeait. Je réussissais à perdre
du poids. Jécrivais. Jai travaillé mais de manière
différente. Jai regardé des séries. Et puis surtout,
jai profité de mes proches. Ce fut une parenthèse pas
désagréable. Tous les soirs à 20h, comme tout le monde,
japplaudissais le personnel hospitalier. Je me disais que ce nétait
pas si mal un pays qui, plutôt que son économie, privilégiait
notamment la vie de ses vieux.
Le deuxième confinement, jai moins aimé. Dabord, plutôt que vers le printemps, on allait vers lhiver. On était un peu démoralisé. On se demandait combien de temps ça allait durer, sils allaient bientôt réussir à trouver un vaccin. Le soir, à 20h, on napplaudissait personne. Cest pas quand on met les radiateurs quon va ouvrir les fenêtres en grand. Le troisième confinement, cest là que lexplosion de la vente des chiens a explosé. Cétait encore le meilleur moyen de justifier les promenades en forêt. Ceux qui navaient pas les moyens de sacheter un chien sachetaient juste une laisse. Quand ils croisaient des gendarmes, ils se mettaient à courir la laisse à la main en criant Sultan ! Sultan ! Reviens ! Reviens Sultan, reviens ! Le quatrième confinement, cétait lanniversaire de la mort de Samuel Paty. Certains ont eu lidée, (ça partait dune bonne intention), dapplaudir tous les soirs à 20H les professeurs des écoles, des collèges, des lycées. Ça a fait des polémiques. Certains ont pensé que ça pouvait passer pour une provocation. Le cinquième confinement, je ne men souviens plus trop. Je crois que jai commencé à boire le premier jour et je suis resté torché pendant les six semaines. Je buvais. Parfois, je vomissais pour faire de la place. Puis je rebuvais Cest surtout à partir du sixième confinement que jai repris du poids. Je me souviens que entre le septième et le huitième confinement, je ne suis même pas sorti de chez moi, javais perdu lhabitude. Pendant le neuvième confinement, en ouvrant la fenêtre, jai le voisin den face qui travaille dans le BTP qui ma crié « Vu votre nouvelle silhouette, vous devriez peut-être faire élargir vos portes au cas où vous auriez envie de ressortir de chez vous entre les deux prochains confinements. « De quoi je moccupe ? » jai répondu en refermant la fenêtre. Le dix-septième confinement, je me souviens, on a regardé plein de films, des vieux trucs, des comédies sentimentales. Les enfants étaient quand même étonnés, ils ne comprenaient pas quand ça finissait bien, pourquoi le monsieur et la dame, se sentaient obligés de se frotter la bouche lune contre lautre, parfois même de sortir la langue en guise de contentement ? « Cest dégueulasse, ils disaient, cest pas hygiénique et puis ça sert à rien » On ne leur répondait pas trop, on avait peur de passer pour des parias, on avait de la nostalgie Voilà. Jarrive bientôt à mon vingt-troisième confinement. Dune certaine manière, ça passe vite la vie confinée quand on est dans la torpeur. Pour les jeunes, on est des dinosaures. Ils nous demandent « Mais avant quand ça nexistait pas les confinements, quest-ce que vous pouviez bien faire toute la journée à traîner dehors ? Et pourquoi vous étiez obligés dêtre en présentiel pour prendre un apéro avec des potes alors quavec Zoom cest tellement plus pratique ?» On fait comme si on nentend pas. On attend la nuit pour pouvoir faire des rêves de baisers, de poignées de mains, d'étreintes, de terrasses, de cinémas, de théâtres. Nos rêves daujourdhui, cétait le quotidien dhier. |